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25 janvier 2019

Un professeur exemplaire : Guy Bernier

Guy Bernier

©Gracieuseté

Guy Bernier

PAR VICTO MURRAY

Il y a des hommes qui laissent lors de leur passage quelque chose qui imprègne l’imaginaire de ceux qui l’ont côtoyé, difficilement perceptible dans l’instant, mais flagrant dans le temps. Boris Cyrulnik , le neuropsychiatre qui sera le premier à expliquer le processus de la résilience, écrit que si Georges Brassens est devenu un des plus grands paroliers français, maniant facilement la beauté des mots, c’est sa rencontre dans son jeune âge, avec un de ses professeurs lui léguant le goût de l’apprentissage dont, dans son cas, l’écriture.

Ça été le cas de Guy Bernier, 1933-2018,  professeur  à St-Luc , dont son enseignement dans ce village, va permettre d’allumer et de maintenir cette petite flamme  d’intérêt à s’instruire.

C’est le legs de ce professeur dont son enseignement aux  garçons , leur donnera le goût de poursuivre des études avancées, menant à des professions,  brisant ainsi la coutume dont à cette époque - surtout dans ce village de ¨ jobber ¨ dans le domaine  forestier - de faire le métier de leur père, soit bûcheron dans les chantiers de la Côte Nord.  Il y en avait qui poursuivaient des études, mais dans le but de devenir prêtre. Son enseignement élargira chez ses élèves la vision de multiples professions.   D’ailleurs,  mes deux frères aînés retourneront  à l’école après une interruption de plus de cinq ans.  Plus qu’ailleurs, dans cette génération venant de Saint-Luc, on comptera  nombre d’étudiants qui deviendront .. ingénieurs , médecins, professeurs, techniciens, etc.

Guy Bernier est arrivé à Saint-Luc à l’automne 1953.  Natif de Saint-Fabien, jeune professeur, scolarisé, il deviendra dans ce village l’élite laïc, le premier autre que le curé,  l’élite ecclésiastique.

Sa pensée finira par pénétrer l’imaginaire social de cette petite collectivité. Il deviendra rapidement un personnage se démarquant par la qualité de ses discours, capable d’expliquer, ce qui était rare à cette époque.  Il fût maire et occupera divers autres postes. N’oublions pas qu’il y avait peu d’hommes scolarisés.

Entré dans la grande famille d’Albert Labrie , mon grand-père maternel, en épousant Suzelle, une des plus jeunes, pour les garçons ou filles des Labrie, il deviendra ¨mon oncle Guy¨, en  accentuant le ¨mon¨    comme si tous les jeunes du village voulaient s’approprier ce qualificatif. Quand je suis devenu enseignant à la polyvalente de Matane, dont lui-même était déjà à cette  endroit , devant mes confrères , j’ajoutais régulièrement le ¨ mon ¨  , amenant  ainsi le sourire chez ceux-ci. C’ est aussi dans ce moment, que j’ai constaté l’immense  admiration et le respect que ses confrères lui accordaient. 

 En outre, ayant  grandi dans la maison maternelle centenaire construite par Edouard Labrie, fin du XIX siècle, père d’Albert et de John - à l’entrée du grand  parc Matane , une barrière portera son nom, barrière John - cette demeure deviendra le ¨ retour aux sources ¨, où  à la moindre occasion, fêtes, jeux de cartes, mariages, etc. suffiront à réunir cette grande famille. J’aurai alors la chance dès  mon jeune âge, de l’entendre avec ses discours dans un langage impeccable, où chaque mot sera bien placé.

Il nous fera connaître les grands auteurs et chanteurs français inconnus  dans l’espace public, dont cette chanson qui sera toujours dans ma mémoire : ¨ l’Auvergnat ¨ de Brassens.  Érudit, très bon chanteur , Brassens coulera de ses lèvres et toujours devant un auditoire spontané et attentif, il nous amusera en chantant  ¨ La chasse aux papillons ¨ ou bien  ¨ Le nombril de la femme d’un flic ¨, ce dernier étant un texte assez osé pour l’époque, mais normatif dans cette grande famille.  Il nous décrira, en utilisant diverses  métaphores, ses voyages en Europe. Sculpture et architecture y étaient intégrées . C’est comme si on y était.  Curieusement, c’est en visitant la place Saint-Marc à Venise, berceau de l’humanisme civique et précurseur de la société civile, où la sculpture resplendit, que j’apprenais son décès, l’été dernier.

Mais revenons à son rôle, à sa profession de professeur, puisque maintes fois , il avait été approché pour divers postes administratifs, dont naturellement , il repoussera. Je me souviens durant la période de grève des enseignants à la  fin de  1982, époque où l’État coupait de 20%  leur salaire, en plus de couper dans les services , il m’avait dit que ce n’est pas la coupure salariale qui fait mal, mais la façon dont l’État traite cette profession, comme tout autre travail dans la société, comme si la matière avec laquelle on travaille, est purement matérielle, en oubliant l’humain. De professeur, on devenait des travailleurs de l’enseignement , ce qui plaira énormément au syndicalisme ouvrier.  Mon oncle Guy, que je me permets de dire encore, était l’un des rares  qui avait tout compris à l’époque, qu’on venait de faire un tort considérable au niveaux  tant primaire que secondaire, dont le piètre résultat est constaté aujourd’hui, et qu’on essaie de rattraper . D’une profession valorisée et estimée, elle en deviendra une ordinaire, comme un simple travail fait dans une usine, dont le produit entre et sort.

Étant proche du parti au pouvoir à l’époque, impliqué dans divers dossiers économiques,  j’ai essayé avec mes  confrères, reprenant la pensée de Guy Bernier , dans la salle des profs à la polyvalente   d’expliquer au ministre responsable du conseil  du trésor, et député de Matane , le défunt Yves Bérubé, l’aspect négatif engendré par cette riposte sévère et inacceptable faite à cette profession. Je vois encore la déception de mon oncle Guy, devant cet affront fait à sa vocation. Par son expérience , il comprenait fort bien que la scolarisation dans une société se fait par des humains, ce qui n’a rien de comparable avec d’autres types d’emplois, dont la présence humaine, essentielle et accompagnée de  ¨ l’affection ¨,  comme le dit si bien Cyrulnik,  ¨c’est un besoin si vital que lorsqu’on en est privé, on cherche ailleurs ¨.

Pour terminer, je vais déposer au début de l’année 2019, au conseil de la ville de Matane , une pétition afin de nommer l’avenue Nord actuelle  à Saint-Luc ou il habitait,¨ avenue Guy Bernier ¨, en précisant bien son prénom.

C’est la moindre des choses qu’on lui doit.

Victo Murray , son neveu et un de ses nombreux élèves, 1963,1964, 1965.

Commentaires

26 janvier 2019

Nestor Turcotte

J'applaudis vos propos. Cela décrit bien ce grand homme.

28 janvier 2019

Gilles Gauthier, Edmundston, NB (Depuis 50 ans)

J'aimes beaucoup vos propos et j'applaudis l'œuvre de Guy Bernier puisqu'il a été mon professeur a la maison voisin de Lionel Bérubé, soit chez Christian Murray et au College nouvellement bâti.

29 janvier 2019

Harold Gauthier

Excellente idée, Victo!

1 février 2019

Raynald d'Auteuil

Oui je suis d'accord avec Victo Guy était un prof et un homme extraordinaire mon fils me rappeleit que Guy qui fut son prof d'anglais avait été le meilleur prof qu'il avait eu dans son secondaire à la poly de Matane

23 février 2019

Jean-Paul Pearson csc

Je garde d Guy un excellent souvenir(1956-57) avant de s'exiler au collège des frères de Ste-Croix à St-Cesaire. Il m'avait bien préparé pour faire le saut au cours classique. Bravo Victo pour ton témoignage.

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