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Retour27 novembre 2024
Formation à la chasse aux phoques : une mission qui fait jaser
©Photo Catherine Champagne Poirier
PAR CATHERINE CHAMPAGNE POIRIER - Le week-end dernier se tenait la formation annuelle sur la chasse aux phoques organisée par Fourchette Bleue. Longtemps sujette à controverse, cette pratique est aujourd’hui perçue sous un angle plus nuancé grâce à des initiatives qui mettent l’accent sur l’éducation et la valorisation des ressources du Saint-Laurent.
La formation débute par une introduction scientifique, menée par un biologiste d’Exploramer, qui présente les espèces de phoques du Saint-Laurent. Les participants apprennent à différencier le phoque gris et le phoque du Groenland, permis à la chasse, du phoque commun, une espèce protégée et abondante dans la région.
Les règles encadrant la chasse sont ensuite expliquées par des agentes de Pêches et Océans Canada, qui tentent de décortiquer la complexité de la réglementation. Toute infraction, même mineure, est sévèrement punie, rendant cette chasse accessible uniquement aux chasseurs rigoureux. La difficulté est d’autant plus grande que les phoques, pesant entre 100 et 400 livres, sont souvent difficiles d’accès dans des environnements hostiles.
Une ressource délicate
La sommité Réjean Vigneault, un chasseur et boucher passionné des Îles-de-la-Madeleine, partage ses décennies d’expérience et enseigne la meilleure technique de dépeçage. Selon lui, le goût de cette viande dépend surtout de sa préparation : « À Terre-Neuve, ils apprécient le goût ranci que le gras peut apporter. Ici, on le retire complètement, et le résultat est plus doux. Beaucoup de gens qui disent ne pas aimer le phoque n’ont tout simplement pas goûté celui qu’on apprête ici. »
Le chef Yannick Ouellet, spécialiste des produits de terroir, prolonge cet apprentissage en élaborant des plats créatifs et succulents mettant en valeur la viande. Mousses, brochettes, tataki, steak et parmi ses innovations, des churros frits dans du gras de phoque, illustrent l’effort pour utiliser chaque partie de l’animal. Cette exploration culinaire, essentielle à la formation, permet de découvrir comment bien apprêter cette ressource méconnue et de maximiser sa valeur.
Conversations animées sur nuances de phoque gris
Parmi les participants, certains poussaient même sur les implications éthiques de la fourrure de phoque chassé pour la viande: est-il préférable d’opter pour une fourrure naturelle issue d’une chasse nourrissante, locale et encadrée, ou pour des manteaux en polyester, dont la production et la fin de vie génèrent une importante pollution plastique ?
Au-delà de l’impact environnemental, la chasse de cette ressource renouvelable et abondante était perçue comme plus éthique dans le sens où l’animal vit dans son état naturel jusqu’à la fin, contrairement à l’élevage industriel, souvent associé à des conditions de vie horribles.
Cette perspective fait écho aux préoccupations des pêcheurs locaux, comme Sam Normand, de Mont-Louis, qui déplore que la chasse aux phoques reste trop limitée et une maigre consolation pour les petits pêcheurs, alors que les grandes corporations continuent de dominer l’accès aux quotas et aux ressources. « Il est minuit moins une, s’il n’est pas déjà trop tard. » affirme-il concernant la surpopulation de phoques. Les chiffres varient, mais l’impact du phoque gris est démontré comme limitant le rétablissement de la morue et du merlu.
Un dialogue qui évolue
Sheryl Fink, directrice de campagne pour le Fonds International pour la Protection des Animaux, est sur le terrain depuis plus de 20 ans et témoigne de cette évolution du dialogue.
« Nous ne sommes pas une organisation végétalienne d’animalistes radicaux, me lance-t-elle, dans un français impeccable malgré son anglais natal. (…) Ce qui importe, c’est le bien-être animal. »
Ainsi, Fink insiste sur une distinction essentielle : « Lors de la pêche commerciale de phoques à grande échelle, c’est le profit qui prime. S’il y a abus des quotas (…) et que la méthode recommandée par les scientifiques pour minimiser la souffrance de l’animal n’est pas respectée, c’est parce qu’on veut faire plus, plus vite. »
Malgré cela, elle exprime une ouverture désarmante à en discuter, et envers les plus petits pêcheurs, qu’elle perçoit comme partenaires dans le dialogue: « Je suis du côté du petit pêcheur », affirme-t-elle. Elle collabore d’ailleurs avec des pêcheurs du Nouveau-Brunswick pour trouver des solutions qui assurent la réduction des risques pour les baleines pendant leur pêche.
Du phoque pour le lunch?
Entre apprentissage scientifique, encadrement strict et valorisation des ressources, la formation proposée par Fourchette Bleue tente de repositionner la chasse aux phoques dans une perspective réfléchie et responsable. Plusieurs participants sont repartis avec un morceau de steak pour tenter de l’apprêter eux-mêmes à la maison. Très nutritive, la viande est tendre, même lorsqu’on l’apprête à la bonne franquette. Avec un peu plus de temps, on pourrait le retrouver plus couramment dans nos assiettes et éventuellement l’apprêter tel un grand chef!
©Photo Catherine Champagne Poirier
Le Chef Yannick Ouellet en compagnie d’un participant qui l’assiste en cuisine.
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